lundi 31 août 2009

L'héroïsme, c'était de survivre

DANIEL COUVREUR

lundi 31 août 2009

Deux auteurs belges, Philippe Richelle et Jean-Michel Beuriot, racontent la barbarie nazie et l'enfer vécu au quotidien. « Amours fragiles » et « Opération Vent Printanier » dessinent l'horreur de la guerre sans jamais la montrer. En 1942, en Belgique, un juif n'avait pas plus de droits qu'un chien.

Sur les 65.000 juifs recensés en Belgique avant l'invasion allemande de 1940, 24.906 seront déportés dans les camps nazis, où 95 % d'entre eux trouveront une mort indigne de l'histoire de l'humanité. A Malines, le Musée juif de la Déportation et de la Résistance entretient la mémoire de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants victimes de la barbarie. C'est là, entre les murs sinistres de la caserne Dossin, que les juifs de Belgique étaient rassemblés pour embarquer dans les trains d'Auschwitz. C'est là que les éditions Casterman ont présenté Amours fragiles et Opération Vent Printanier, deux albums de bande dessinée dont le scénario démonte case après case la perversité du système nazi au quotidien.

L'auteur liégeois Philippe Richelle et le dessinateur Jean-Michel Beuriot ont trouvé à Malines des échos lugubres à la réalité de leurs aventures. Quand un commissaire aux questions juives compare dans Amours fragiles les droits de son chien à ceux des « youpins », c'est juste terrifiant de vérité. La guide du Musée juif de Malines témoigne qu'en 1942 le grand parc de la ville d'Anvers était « défendu aux chiens et aux juifs »…

La force de Richelle et Beuriot tient dans l'épopée humaine. Les images et les personnages appartiennent à la vie de tous les jours. Leur héroïsme, c'est de survivre. « Dans les films sur la Seconde Guerre mondiale, le cinéma, qu'il soit américain ou français, se concentre généralement sur le côté spectaculaire de la souffrance, explique Jean-Michel Beuriot, dessinateur d'Amours fragiles. Je m'attache au quotidien. Au plan fictionnel, c'est finalement plus terrifiant car le lecteur sait aujourd'hui ce que les nazis ont voulu cacher. »

« On veut s'intéresser au simple citoyen qui se croyait peu ou pas concerné par les événements, ajoute le scénariste, Philippe Richelle. Les Allemands faisaient en sorte que les souffrances de la déportation ne soient pas directement perceptibles. Personne ne savait trop bien ce qui se passait. La première préoccupation des gens était de vivre et de se nourrir. Il n'y avait pas de pogroms ni de ghettos en France et en Belgique… Je ne suis pas intéressé par les scènes de guerre. Je cherche à restituer la mentalité d'une époque. Le but, c'est d'apporter de la nuance dans la vision souvent manichéenne que l'on a de cette période. Des milliers de gens ont, par exemple, été confrontés aux lois d'aryanisation comme l'oncle de Katarina dans Amours fragiles. Certains ont tenté de les contourner mais pour beaucoup, cela s'est mal terminé ».

Au Musée de Malines, l'objectif est identique : montrer comment les familles ont été impitoyablement détruites, casser les clichés sur les juifs spoliés, qui n'étaient pas tous de riches commerçants mais surtout des ouvriers textiles ou des mineurs.

« La spoliation des biens organisée par les Ordonnances juives est un phénomène peu spectaculaire en soi, précise Jean-Michel Beuriot. Mais il s'agit d'une forme de conquête sournoise. C'est un élément essentiel de l'Occupation, même s'il est moins sensible que les rafles ou les déportations d'enfants. » « Dans nos albums, la violence est sourde, complète Philippe Richelle. On rame à contre-courant des images qui choquent. »

Les deux auteurs trouvent leur inspiration dans les dossiers d'archives familiales personnelles et les portraits d'époque, comme ceux que l'on peut découvrir dans les caves de la mémoire de la caserne Dossin. Derrière une vitrine du Musée juif, les photos d'Israël Lipschitz et de Rachel Mandel, mariés le 30 juillet 1943 à la veille d'être déportés, ont le profil de personnages d'Amours fragiles.

« Je veux faire passer quelque chose dans les visages avant de chercher la beauté du trait, dit Jean-Michel Beuriot. Je fais une sorte de casting dessiné avant d'entamer l'album. » Il souligne la soif de passion amoureuse pendant la guerre : « La mort était partout, alors les gens voulaient absolument profiter de la vie. J'ai lu tout un livre sur l'amour pendant la guerre. »

C'est l'un des thèmes clés de Philippe Richelle. Dans Opération Vent Printanier, le personnage de Charlotte est inspiré du journal intime d'une lycéenne de 15 ans : « Les cinémas et les music-halls ne désemplissaient pas. Il régnait un besoin, une envie de s'échapper du quotidien de toutes les manières possibles. La limite à ne pas franchir était de flirter avec les Allemands. Même si le militaire de la Wermacht qui sifflait une fille sur les boulevards pouvait être amical. Rien n'est jamais blanc ni noir pendant les guerres. Dans Amours fragiles, on voit Ducarme, un antisémite pur jus, obtenir la place d'administrateur provisoire de l'usine dirigée par l'oncle de Katarina. Mais l'aryanisation ne l'intéresse pas. Il a surtout besoin de nourrir sa famille et, finalement, il fera des compromis avec le patron juif de l'entreprise qu'il est censé administrer. On a toujours tendance à simplifier l'Histoire. En France, on a voulu résumer la collaboration au régime de Vichy. Ce n'est pas si facile. La France de 1940 était pétainiste mais en même temps anti-allemande. Comme je l'évoque dans les albums, il y avait même chez certains membres de l'administration et de la police des velléités de résister à la volonté allemande de mettre le pays en coupe réglée. »

DANIEL COUVREUR

Le Soir, lundi 31 août 2009

Article sur le net: LE SOIR.BE

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