En 1990, un gars bien plus à gauche que certains ne voudraient le croire -ben oui, il a du succès, il vend des disques, ce n'est donc forcément pas un vrai progressiste- chantait ceci : « On saura jamais c'qu'on a vraiment dans nos ventres, caché derrière nos apparences. L'âme d'un brave, ou d'un complice ou d'un bourreau? Pour le pire ou le plus beau? Serions-nous de ceux qui résistent ou bien les moutons d'un troupeau, s''il fallait plus que des mots? ». C'est, notamment, cette question qu'aborde la formidable série 'Amours fragiles', bande dessinée historique, certes, mais également délicat et sensible tableau psycho-sociologique d'une époque et surtout des acteurs qui la façonnent. Prédominent ici le cadre, les circonstances et l'approfondissement des personnages, là où d'autres oeuvres du même genre versent dans l'action à tout prix et se focalisent sur une violence parfois excessive. Suivre des parcours humains à priori insignifiants, et montrer -sans porter de jugement- comment le cours des événements influe sur les trajectoires individuelles, révèle les personnalités et, inversément, comment les décisions et les actions des citoyens ordinaires, aussi minimes paraissent-elles, entraînent d'autres citoyens à s'engager ou à se protéger à tout prix, voilà sans doute ce que, depuis son premier tome, la série de Beuriot et Richelle s'attache à démontrer. Des histoires dans l'Histoire.
Intitulé 'Résistance', ce cinquième tome délaisse encore une fois le personnage central de la série, Martin Mahner, ce jeune allemand, rencontré pour la première fois en 1932, et qui nous fit, dans 'Le dernier printemps' (tome 1er) assister à la montée du nazisme avant de poursuivre ses études à Paris , où il retrouva Katarina, une jeune juive allemande dont il tomba amoureux ('Un été à Paris', tome 2) et d'être finalement incorporé dans la Wehrmacht. Depuis le troisième tome de la série ('Maria'), les auteurs s'attachent à pointer un aspect particulier du conflit en suivant le parcours d'amis ou de connaissances de Martin. Ainsi, dans 'Maria', nous avions suivi, au coeur de l'Allemagne nazie, les tentatives désespérées d'une poignée d'opposants à Hitler d'ouvrir les yeux de leurs compatriotes face aux exactions du pouvoir en place. Le tome 4 quant à lui s'attachait à montrer comment, via un processus législatif d'une apparente légalité, le régime de Vichy avait véritablement servi la soupe à l'occupant allemand en lui permettant de réquisitionner des usines détenues par des juifs français. Nous y avions retrouvé le personnage de Katarina, qui donnait d'ailleurs son titre au volume et qui, grâce à ses relations avec Martin, avait réussi à éviter le pire à un membre de sa famille, trop confiant dans la détermination de l'état français à protéger ses ressortissants. Avec 'Résistance', c'est encore Katarina, devenue Catherine, que nous suivons. Désireuse de se rendre utile, elle quitte sa retraite trop dorée à son goût dans le midi de la France, pour rejoindre Lyon et apporter son aide aux mouvements de résistance qui s'y organisent. Au travers de ses tâches apparemment sans importance -secrétariat, relève des boîtes aux lettres clandestines- c'est au travail de fourmi qu'était réellement la résistance que nous assistons. Malgré elle, Catherine va se retrouver mêlée aux luttes fratricides entre les différents réseaux de résistance, aux bassesses et petites lâchetés que les luttes de pouvoir entraînent forcément. Trop occupés par ces conflits d'intérêts, certains de ses compagnons de lutte oublient qui est leur véritable ennemi et comment la plus petite de leurs erreurs peut entraîner de tragiques conséquences. Loin des coups d'éclats -évasions, sabotages- qu'ont pu nous montrer certaines oeuvres consacrées à la résistance, c'est bel et bien à ce qui se déroulait dans l'ombre que nous convient les auteurs. Au réalisme documenté du scénario de Richelle – dont l'intrigue est en partie inspirée de faits authentiques : l'arrestation de Jean Moulin à Lyon- répond celui, sans faille également, du dessin de Beuriot. Si certaines cases enneigées nous avaient marqués dans le précédent volume, d'autres, utilisant des paysages typiques et chaleureux du sud de la France, semblent y répondre ici, comme en contrepoint au drame qu'elles nous livrent pourtant. Le soleil n'adoucit rien.
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