Il vaut mieux partir d’une idée simple
pour aboutir à une histoire originale, que de partir d’une idée
originale pour aboutir à une histoire banale. Ce n’est pas moi qui le
dis, c’est en substance ce qu’exprime Hitchcock dans ses entretiens avec
Truffaut.
Cette citation de Hitchcock à bien des égards s’accorde à la saga de Beuriot et Richelle dont l’idée de départ était de réhabiliter une certaine frange de la population allemande,
trop souvent décrite comme entièrement acquise à la cause de ses
dirigeants par la propagande des vainqueurs. Beaucoup d’Allemands
étaient opposés à Hitler lors de son ascension au pouvoir et le sont
restés jusqu’au bout. Parmi ces Allemands, certains ont résisté, au prix
de leur vie, d’autres se sont opposés plus passivement. Martin Maher
est de ceux-là.
A contrario, le tome six tend à
déboulonner un autre cliché véhiculé par une abondante littérature
mémorielle d’après-guerre issue du camp de vaincus cette fois : la
virginité de la Wehrmacht en ce qui concerne les exactions commises sur
le front de l’est. Celles-ci ne furent pas que l’apanage des
unités SS. La Werhmacht, cette armée indigne du titre, dont certains
cadres issus de la noblesse prussienne de tradition, étaient hostiles à
Hitler mais se refusaient, en bons militaires, à s’opposer au pouvoir
légal qu’il représentait, traîne également son lot de casseroles.
Si le soldat allemand, stationné en
France ou en Belgique, pouvait espérer conserver sa dignité sans trop de
cas de consciences (Alexander von Falkenhausen, gouverneur militaire de
la Belgique durant l’occupation, épousa en 1960 une ancienne
responsable de la résistance belge, après avoir traité la Belgique
d’ingrate, pour un procès intenté contre lui en 1948, reprenant pour
l’occasion la formule de Scipion l’Africain à son compte : Ingrata
Belgica, non possidebis ossa mea (« Ingrate Belgique, tu n’auras pas mes
ossements »)), il en allait tout autrement sur le front de l’est, où
les Slaves étaient considérés comme des sous-hommes par le régime nazi.
C’est dans ce contexte explosif que Beuriot et Richelle plongent leur jeune héros humaniste. Coincé
avec sa conscience dans un pays qui a accueilli les Allemands en
libérateurs dans l’espoir d’une indépendance à la fin de la guerre,
alors que les desseins du Reich sont beaucoup moins avenants. La
lointaine Ukraine, à laquelle il a vainement tenté d’échapper et où il
côtoiera des frères de valeurs aussi tourmentés que lui.
Le scénario de Richelle fait une fois de plus merveille
dans cet épisode qui va contraindre, par la force des choses, Martin à
prendre des risques s’il veut rester fidèle à ses idéaux. Tel un suspens
qu’ Hitchcock n’aurait pas renié, Richelle tisse autour de Martin une
toile dense et menaçante, au danger omniprésent et multiple.
La narration est habile et s’appuie intelligemment sur l’éllipse pour dynamiser un récit qui bénéficie du dessin élégant de Beuriot qui cadre à hauteur d’homme et refuse les « effets spéciaux » de découpage, pour être au plus près des personnages et saisir au mieux leurs expressions.
La narration est habile et s’appuie intelligemment sur l’éllipse pour dynamiser un récit qui bénéficie du dessin élégant de Beuriot qui cadre à hauteur d’homme et refuse les « effets spéciaux » de découpage, pour être au plus près des personnages et saisir au mieux leurs expressions.
Passionnés par la Seconde Guerre mondiale, les auteurs avouent ne rien laisser au hasard,
pour répondre aux exigences de précision que demande un tel sujet.
Ainsi en plus d’une série captivante, qui immerge littéralement son
lecteur, Beuriot et Richelle proposent avec Amours fragiles un véritable document
sur la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement sur
l’occupation allemande des pays de l’est en ce qui concerne ce sixième
tome. Preuve de cette qualité indéniable, la série est traduite en
allemand depuis 2009, sous le titre (dû à l’éditeur allemand) un peu
racoleur de : Sous la croix gammée.
« Il n’y a pas de terreur dans un coup
de fusil, seulement dans son anticipation », est une autre citation de
ce bon vieux Hitch’, et force est de constater que le militaire Martin
n’a pas encore fait parler la poudre. Le fait-t-il dans ce sixième tome?
Vous le saurez en vous procurant cet excellent ouvrage dans la première
librairie qui ne sera pas en rupture de stock.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire